Dagara DAKIN
Les « Distractions » (2012)
Les œuvres de Leslie Amine sont le fruit de ses déplacements. Sa pratique artistique se résume en la combinaison de deux attitudes complémentaires : maîtrise et lâcher prise. Le caractère chaotique et imprévisible de ses toiles découle des assemblages d’éléments hétéroclites qu’elle s’autorise à faire. Il en résulte une sensation d’étrangeté.
Face aux toiles de Leslie Amine, le spectateur cherche un sens, un élément familier auquel il pourrait se raccrocher. Une histoire à se raconter. Mais il s’égare. Et bien que les motifs que sont le tissu africain (ou pagne) de couleur orange, ou encore la chèvre, soient assez récurrents pour nous servir de repère, rien n’y fait. Parfois, au détour d’un élément, une allusion à une œuvre d’un peintre connu affleure à la surface de la toile.
Mais c’est pour mieux nous étourdir. C’est que le propos ici n’est pas de rassurer le regardeur mais plutôt de l’inviter à abandonner certains codes, faire fi de l’idée qu’il se fait de ce qu’est le sens pour expérimenter d’autres sens, d’autres directions, d’autres lectures, d’autres possibles. Il n’est donc pas anodin que l’artiste ait choisi d’intituler sa proposition : « Distractions », car à bien y réfléchir, c’est bien ce qu’elle cherche à nous procurer par le biais de ses peintures, un peu de distraction. Un moment où l’esprit se laisse aller à la divagation pour mieux revenir, plus tard, à ses préoccupations. On ne peut donc aborder ses peintures de façon distraite, elles exigent de nous la plus grande attention qui soit. C’est la seule façon d’accéder à cet univers qui sollicite de notre part que nous abandonnions, le temps d’une exposition, notre univers propre pour en explorer un autre.
« Distractions » (2012)
Leslie Amine’s works are the fruit of her travels. Her artistic practice can be summed up in the combination of two complementary attitudes: mastery and letting go. The chaotic and unpredictable nature of her paintings stems from the assemblages of heterogeneous elements that she allows herself to make. The result is a feeling of strangeness.
Faced with Leslie Amine’s canvases, the viewer is looking for meaning, a familiar element to hold on to. A story to be told. But he gets lost. And even though the motifs of the orange African cloth (or loincloth) or the goat are recurrent enough to serve as a reference point, nothing helps. Sometimes, at the turn of an element, an allusion to a work by a known painter emerges on the surface of the canvas.
But it’s to make us dizzy. The point here is not to reassure the viewer, but rather to invite him to abandon certain codes, to ignore the idea that he has of what meaning is, in order to experience other meanings, other directions, other readings, other possibilities. It is therefore not insignificant that the artist has chosen to title her proposal: « Distractions », because on reflection, this is what she seeks to provide us with through her paintings, a little distraction. A moment when the mind lets itself go to rambling to better return, later, to its concerns. So we cannot approach her paintings in a distracted way, they require the greatest attention from us. It is the only way to access this universe that requires us to abandon, for the time of an exhibition, our own universe to explore another.
Un lieu trop chaud (2013)
L’atmosphère tient ici une place primordiale. Il est le fruit des déplacements multiples à l’origine des réalisations de Leslie Amine. Il ne s’agit pas d’un simple décor. Il permet à l’artiste de replacer le visiteur dans un contexte sans lequel tout ce qui pourra être dit par la suite, tout ce qui pourra être ressenti, ne pourra être pleinement saisi, encore moins vécu. Paysages et portraits sont les genres qui prédominent, seule une toile au sujet plus énigmatique dénote. Elle indique un autre aspect de son œuvre. C’est que tout n’est pas que « luxe calme et volupté ».
La série de portraits que l’artiste présente ici, quant à elle, est le résultat d’une résidence à Paris. Dans ce cadre elle a arpenté les rues de la capitale et de sa proche banlieue et demandé à photographier chacun de ses modèles. Son regard s’est arrêté sur des personnes d’origine africaine ou antillaise. Jeunes ou moins jeunes, hommes ou femmes, sont vêtus de vêtements dits « ethniques » ou au contraire de façon plus mode actuelle. C’est un choix voulu par l’artiste qui semble s’être intéressée au contraste qui réside entre ces façons de se vêtir. Les codes vestimentaires et les impressions qu’ils suscitent, la capacité qu’ont ces mêmes personnes de passer de l’un à l’autre de ces styles.
Et bien qu’elle avoue préférer « laisser le visiteur dans une certaine subjectivité par rapport à cette question », il n’en demeure pas moins qu’elle questionne l’immigration de ces populations à Paris. D’où le choix de ses modèles
. C’est aussi une manière de s’interroger sur des concepts que sont : le stéréotype, l’exotisme ou encore la modernité.
À partir de ses images prises dans les rues parisiennes, d’un commun accord avec les protagonistes – il n’est qu’à voir les pauses que ceux-ci adoptent pour se rendre à cette évidence – Leslie Amine a élaboré les portraits que voici en les replaçant sur un fond constitué de nuées.
Mode de présentation qui n’est pas sans évoquer celui dont les peintres classiques avaient l’habitude d’user. À la fois réflexion sur la nécessité de peindre à l’ère du numérique, ses portraits utilisent également les codes de représentation qui appartiennent aussi bien au champ de la photographie qu’à celui de la peinture. La photographie s’étant dès ses origines inspirée de la peinture.
Enfin, pour rendre la lecture de ses images moins évidente, l’artiste s’autorise à les fragmenter. De la sorte, elle invite le regardeur à recomposer mentalement certaines d’entre elles. Tout n’est pas donné à voir tout de suite, des fragments absents se retrouvent plus loin dans l’exposition.
Une manière de garder l’attention du visiteur. Ce dernier est ainsi invité à appréhender la proposition comme une énigme à résoudre, compléter un puzzle dont les pièces manquantes lui sont données à voir au fur et à mesure de sa progression dans cette atmosphère épaisse dans laquelle évoluent les portraits et paysages de Leslie Amine.
Un lieu trop chaud (2013) English
Atmosphere is of paramount importance here. It is the fruit of the multiple displacements at the origin of Leslie Amine’s achievements. It is not a simple decor. It allows the artist to place the visitor in a context without which everything that can be said later, everything that can be felt, cannot be fully grasped, much less experienced. Landscapes and portraits are the predominant genres, only a painting with a more enigmatic subject matter denotes. It indicates another aspect of his work. It is that not everything is « calm luxury and voluptuousness ».
The series of portraits that the artist presents here is the result of a residency in Paris. In this context she walked the streets of the capital and its close suburbs and asked to photograph each of her models. Her gaze stopped on people of African or Caribbean origin. Young or not so young, men or women, are dressed in so-called « ethnic » clothes or, on the contrary, in a more fashionable way. It is a choice wanted by the artist who seems to be interested in the contrast between these ways of dressing. The dress codes and the impressions they create, the ability of these same people to switch from one style to another.
And although she admits that she prefers to « leave the visitor in a certain subjectivity with regard to this question », the fact remains that she questions the immigration of these populations to Paris. Hence the choice of her models
It is also a way of questioning concepts such as stereotype, exoticism or modernity.
Based on her images taken in the streets of Paris, in agreement with the protagonists – one only has to look at the pauses that the protagonists take to get to the obvious – Leslie Amine has created the following portraits by placing them against a background of clouds.
A mode of presentation that evokes the one that classical painters used to use. At the same time reflecting on the need to paint in the digital age, his portraits also use codes of representation that belong to the field of photography as well as that of painting. Since its origins, photography has been inspired by painting.
Finally, to make the reading of his images less obvious, the artist allows himself to fragment them. In this way, she invites the viewer to mentally recompose some of them. Not everything is immediately visible, absent fragments are found further on in the exhibition.
A way of keeping the visitor’s attention. The latter is thus invited to apprehend the proposal as an enigma to be solved, to complete a puzzle whose missing pieces are given to him to see as he progresses in this thick atmosphere in which Leslie Amine’s portraits and landscapes evolve.